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mardi 27 août 2013

19_Rotation angulaire 1



Quand j'allais au parc j'avais pour habitude de scruter l'attitude des parents en relation avec leur progénitures. J'essayais de deviner quelle était leur condition dans le cadre domestique. Parfois, la sévérité du cadre domestique était prononcée publiquement.
« Tu vas voir à la maison ce que tu vas te prendre », « c'est la déculottée qui t'attends ». Si il s 'agissait de paroles en l'air, les réactions à ce genre de phrases laissaient croire que la ou le destinataire connaissait bien le sujet.
Je me souviens d'un oncle éloigné qui était venu récupérer ses deux filles au parc en leur disant :
« A quelle heure vous deviez rentrer à la maison ?! » Et pour les mettre en condition, il déclara : « C'est la ceinture sur les fesses nues qui vous attend. » Les deux sœurs suivirent le père les têtes baissées, leur peur leur fit oublier de me dire au revoir.
Dans notre quartier, la ceinture, tout le monde y avait goûté plus ou moins. Certains derrières recevaient avec modération, c'est à dire occasionnellement, plusieurs fois par ans. Je peux estimer cette proportion à 70%. Chez les 30% restants, ça marchait à la baguette.
Il se trouvait fréquemment en classe une personne qui présentait les symptômes de ceux qui vivaient dans des conditions effroyables, j'avais pour référence mes voisins, Saïd et Karima.
Au collège j'avais repéré l'attitude de Florence, une fille plutôt grande, brune, les cheveux courts, bouclés, elle portait de grosses lunettes. Un visage qui n'inspirait pas la convoitise des garçons, bien que sa figure ne faisait pas rebuter le regard, toutefois, ses tenues vestimentaires ne la mettait pas en avant. Elle aussi devait porter des fripes, la fraîcheur des tissus en témoignait. Tout sa garde de robe effaçait l'ondulation de ses formes, des pantalons en toile, droits, des pulls et chemises amples, les chemises toujours portées rentrées dans le pantalon et fermées jusqu'au dernier bouton. Par dessus elle portait souvent les même parkas, effaçant sa taille apparemment peu prononcée. Comme chaussures, elle portait constamment des mocassins, je ne la voyais en jupe longue qu'à l'église.
Première de la classe, elle n'affichait aucune fierté, au contraire, son expression était effacée, son attitude introvertie, elle n'avait qu'une seule copine à qui elle parlait. Celle ci aussi avait l'attitude d'une souris grise, petite de taille, elle semblait simple d'esprit. Florence, elle avait la morphologie crânienne d'une intellectuelle, le front masculin, à la Fanny Ardant, les lèvres fines, les commissures tirées vers le bas. On ne lisait sur son visage aucune joie, et quand elle attendais les résultats des contrôles, c'était avec soulagement qu'elle récupérait ses copies, aucune prétentions n'émanait d'elle.
Serviable, polie, et sans prétention, apparemment rien ne laissait percevoir la moindre vague, rien ne laissait supposer qu'on puisse s'intéresser à elle, un véritable fantôme. Silencieuse, elle ne se mettait jamais en avant pour répondre. Qui aurais peu supposer qu'elle vivait dans la terreur, et son statut de bonne élève enlevait tout soupçons.
En dehors des cours, on ne la voyait jamais, jamais au parc, ni dans la rue, bien qu'elle habitait le quartier. Je ne fit pas grand attention à elle jusqu'au jour où elle reçu une note en dessous de ce qu'elle avait l'habite de recevoir. Un douze en français, sur le compte rendu d'un livre, une lecture de vacance. J'étais étonnée que ce ne soit pas elle qui reçoive en premier la copie. Notre prof rendait les copie par notes décroissante. Je l'observais regarder la prof dans une attente anxieuse. A la réception de la copie, je la sentait retenir ses larmes, ses gestes étaient devenus saccadés, nerveux, son attitude supposait une situation dramatique. Aux toilettes je la surpris pleurer sans retenues. Je ne l'avais jamais vu dans un état pareil, d'habitude stoïque et posée. Là elle avait l'air d'une condamnée à mort. Quand elle me vit arriver elle essaya de se reprendre, mais sans succès. J'essayais de la réconforter mais en vain, c'était le drame. Je décidais donc de la laisser en paix dans son deuil.
Ce ne fut pas la seule crise de pleur de Florence dont je fut témoin. Lors d'une sortie scolaire, elle déchira un bout de manche de son parka, certainement contre une branche d'arbre. La ce fut pire, elle se donna aux pleurs en public, rien ni personne ne pouvait la consoler. Je pense que tous avaient pris sa crise pour une manifestation nerveuse pathologique, d'autant plus que cette attitude ne correspondait pas à ce qu'elle avait l'habitude de dégager. La maîtresse la rassurait en lui disant qu'il s'agissait d'une situation bénigne, mais rien, elle continuait à pleurer comme si le ciel allait lui tombait sur la tête.
Je fut très sensible à la situation et décidais de porter mon attention sur elle. Après cet incident on ne la vit pas pendant deux jours. Si tout le monde avais cru qu'elle avait eu besoin de repos pour sortir de sa crise, moi je remarquais quand elle posait ses mains sur la chaise pour pouvoir délicatement s'asseoir. Un geste que je connaissais fort bien. Comment avais je peu ne pas remarquer ce détail avant. Son cas me devenait de plus en plus compréhensible, quelque chose ne tournait pas rond chez elle, et moi je voulais en savoir d'avantage.
La meilleure façon pour moi de me rapprocher d'elle était de lui demander son aide dans les devoirs de mathématique, matière où elle excellait. Florence ne refusa pas son aide, pleine de compassion pour mes lacunes et mon incompréhension dans ce domaine. Timidement elle me proposa de venir après les cours chez elle, c'était une heure où les parents n'étaient pas encore là, les siens comme les miens. Je m'accordait une séance d'une demi heure par semaine, j'avais environ une heure et demi devant moi avant que ma mère n'arrive, mon père ne revenait pas avant vingt heure. Cela me laissait un peu de temps pour m'immiscer dans l'intimité de Florence. Après les cours nous allions directement dans sa chambre, Florence ne m'a jamais fait visité tout l'appartement.
Dans l'entrée au dessus de la porte, je remarquais un crucifix en bois avec un Christ en métal. Un symbole similaire était suspendu dans sa chambre, au dessus de son lit. Une chambre de surface modeste, bien rangée, avec des vieux meubles en bois massif, et un parquet d'origine qui grinçait. Elle habitait le même type d'immeuble en brique rouge, certainement construit au début du vingtième siècle. J'y reconnaissais le même type de fenêtre, cadres en bois ornés de ferronneries dont l'étanchéité précaire laissait passé le froid glacial de l'hiver. Les murs étaient couverts d'un papier peint à rayures verticales dans des tons caramel qui se mariaient parfaitement avec la couleur bois foncé du mobilier. Cet intérieur sobre, dont les seules décorations apparentes se résumaient à un crucifix, de légères moisissures qui ajoutaient au papier peint quelques vibrations de tonalités dans la rectitude des lignes verticales, ainsi que, pendue sur un crochet par son extrémité, près du cadre de la porte, toujours dans une dynamique verticale et assortie au tons du mobilier, une laisse en cuir bien usé. Rien ici ne laissait supposer que l'aménagement fut le choix d'une jeune fille. La présence de cette laisse éveilla mon imagination. J'étais toute excitée à faire des suppositions sur son usage.
Florence était très attentionnée à optimiser les temps qu'elle m'accordait pour répondre à ma demande première, c'est à dire les devoirs de mathématiques, c' étaient incontestablement son domaine de prédilection. Pour moi de la magie noir, apprendre la Kabbale aurait été plus simple, mais son aide me permis de faire un peu de lumière dans mes incertitudes.
Toutes les deux nous surveillions de près l'heure, Florence ne laissait aucune place pour les bavardages plus intimes. Dès que je déviais de sujet, elle me remettais sur les rails. Je fini par ne plus tenter quoi que ce soit qui puisse l'agacer. Vis à vis d'une quelconque amitié, son attitude était distante et ferme, elle était polie et rendait service, comme par devoir moral. Même en tête à tête chez elle, elle suivait le protocole du socialement correcte sans montrer d'émotions, hormis une petite satisfaction, ou plutôt un soulagement de me voir saisir quelques notions d'éducation scolaire. Florence me prêtait ses cahiers d'exercices pour que je puisse corriger mes fautes à la maison. J'acceptais pour faire bonne figure tout en sachant que je n'aurais probablement pas le temps d'y jeter un œil.
Dès que je sortait de chez elle, je rentrais à la maison sur les chapeaux de roues. Je devais sortir le chien, me mettre en tenue de travail et commencer des tâches ménagères.
Notre collaboration avec Florence ne dura pas longtemps, à peine plus d'un mois. En milieu de semaine, affairée aux occupations domestiques, j'entendis ma mère crier un « Cécile !» qui me laissait croire que ça allait barder. Immédiatement, je me précipitais au salon pour prendre connaissance des consignes. Tout de suite je réfléchissais à ce que j'avais peu laissé passé pour que ma mère hausse le ton de la sorte, mille idées me passaient par la tête, mais aucune d'elle ne justifiait une correction.
D'habitude ma mère m'appelait sur un ton calme, même si après, la conversation était amenée à se corser. Là j'avais l'impression que ça gueulait déjà.
J'arrivais l'estomac serré, terrorisée par ce qu'on allait me dire. A ma grande surprise, ma mère avait une attitude très détendue, assise sur son fauteuil, un magazine à la main, c'était presque comme si elle était de bonne humeur. Elle me demanda de lui préparer un thé. J'étais stupéfaite, je m'attendais à une gifle et à ce qu'on m'engueule.
Très calmement , alors que je lui apportais le thé, ma mère me dit que madame Kerva me voyait revenir tard du collège. Mes mains commencèrent à trembler, c'était très visible comme je tenais dans ma main une soucoupe sur laquelle était posée la tasse de thé. Elle se leva brusquement avant que je n'eus le temps de lui remettre le thé, et accusa sur un ton relevé et ferme, tout en me fixant de ses yeux qui guettaient ma réaction :
« Tu traînes où comme ça, Cécile ! »
Le ton de la question, ainsi que le changement de position de ma mère me firent sursauter. La tasse vacilla sur son socle et tomba répandre le thé sur le tapis.
La gifle qui s'en suivit me fit lâcher la soucoupe que je tenais encore. Une deuxième retournée dans l'autre sens le remis le visage face à ma mère qui attendait que je lui dise la vérité sur cette affaire.
Je commençais à sangloter.
« Tu te dépêche Cécile! »
Elle ne me laissait pas le temps d'inventer une histoire, j'étais tenue de répondre sur le champs, sinon c'était une autre baffe qui aurais pour but de me soustraire à quelqu'inventions. Je ne tardais pas à en recevoir une troisième pour répondre que j'allais chez une copine pour faire mes devoirs. J'apportais à ma mère un cahiers que Florence m'avait prêté pour justifier mes déclarations
Comment elle s'appelle ? elle habite où ? Est ce que ses parents son au courant ?
Les questions pleuvaient sur un ton exclamatif, jusqu'à ce que ma mère interroge :
« Tu m'as demandé la permission d'aller chez elle, Cécile ? »
Là j'étais désarmée face à ma mère, j'avais pas demandé parce que je savais d'avance que c 'était non. J'avais à peine ouvert la bouche pour justifier que j'avais agi pour une bonne cause, que ma mère répéta plus sèchement la question :
« Tu as demandé, Cécile ?! »
« Non, maman ... » J'étais en pleurs. Ma mère attendais que je flagelle mon ego en énumérant toutes les fautes que j'avais commises. Que j'en avais fais qu'à ma tête, que je lui avais mentis par omission, que j'avais manqué à mes devoirs domestiques, que j'avais trahis la confiance de mes parents, que j'avais voulu donner raison à ma désobéissance au lieu de chercher à me repentir, …
« Ca mérite quoi ça, Cécile ? » Questionna inévitablement ma mère. J'étais tenue d'accepter la punition comme un bienfait moral et remercier après l'avoir reçu.
« Je mérite une punition maman ... » C'était dit à contre cœur.
« Une punition comment, Cécile ? » Ce genre de remarque suggérais que je prenne bien conscience de la gravité de ma faute.
« Une punition sévère, maman ». J'ajoutais hésitante.
« J'ai pas bien entendu, Cécile ! » Insista ma mère.
Je répétais plus fort, et plus distinctement :
« Je mérite une punition sévère, maman ».

Puisque j'avais déclaré que les parents de Florence était au courant de mes venues chez leur fille, vers dix neuf heure, ma mère m'ordonna d'aller chez Florence lui rendre son cahier et dire à ses parents que je ne pourrais plus rendre visite à leur fille. J'étais rouge de honte, je ne savais pas comment faire. Quand Florence avait consentit à me recevoir, elle avait posé des conditions indiscutables, que je parte de chez elle avant la venue de ses parents, c'est à dire avant dix huit heure, et que sous aucun prétexte je ne leur révèle ma venue. Je supposais qu'elle craignait ses parents.
« Mais maman, je peu lui rendre son cahier demain à l'école. » Avais je répondu.
« Tu as entendu ce que je t'ai dis, Cécile ?! » Reprit ma mère. Elle continua :
« Quand tu vas revenir, on va descendre à la cave. »
« Pas la cave maman, pas la cave... » La cave ça voulait dire que j'allais recevoir des coups de câble. Mon père y avait disposé une échelle dans une position horizontale, coincée entre deux vieilles commodes superposées. On m'y attachait à l'extrémité, le torse retenu par une grosse sangle en cuir sur les barreaux recouverts d'un plaid, bras tendus vers l'avant, les poignets celés à une marche de l'échelle. Je ne pouvais me soustraire à cette position en équerre, les fesses inconditionnellement tendues au supplice. C'était à ma deuxième année au collège que ma mère avait décider d'instaurer ce moyen pour punir les fautes graves. Une manière d'éviter que je banalise la punition était de sévir en fonction de mon age. Comme elle l'avait si bien dit à table chez ma marraine :
« Quand elle voit venir une correction, il faut qu'elle en tremble. » En moyenne deux à trois fois par an, j'avais droit à un rappel au câble à la cave.